C’était plutôt rare des scientifiques à bord des bateaux qui partaient vers le sud. Mais quand ça arrivait, le Continent blanc était l’unique objectif pour en savoir un peu plus.
Dans l’expédition de l’Antarctique, la Belgique a aussi joué un rôle important. Il y a cent ans, au tout premier hivernage à l’intérieur du cercle polaire antarctique, 17 jeunes hommes étant embarqués sur un bateau belge ont survécus. L’expédition avait été dirigée par le commandant belge Adrien de Gerlache et le bateau s’appelait la Belgica.
Le premier a atteindre le pôle Nord sera Frédéric Cook et le futur conquérant du pôle sud qui faisait partie de l’expédition. Le métier d’explorateur polaire, ils l’apprirent sur la Begica
.

 

On lève l’ancre.

Adrien de Gerlache recherche de l’argent pendant trois ans. Il a besoin d’un bateau adapté et d’environ 300’000 francs (40 millions de francs d’aujourd’hui). En Norvège à Sandefjord, il le découvre. Un trois mâts de bois équipé d’un moteur à vapeur, vieux phoquier de 244 tonnes et de 30 mètres de long, Le Patria. Il est amené à Anvers et rebaptisé "Belgica". La Belgica lève enfin l’ancre le 16 août 1897. A Punta Arenas (au sud du Chili), elle y arrive au bout de trois mois et demi. Là, quelques marins se révoltent parce qu’ils ne désirent plus suivre leur commandant. L'expédition manque d’échouer avant même qu’elle ne commence à cause de cette mutinerie. De Gerlache, cinq hommes ont débarqués. Quand la Belgica quitte le monde habité pour mettre la cap sur l’Antarctique le 14 janvier 1898. la Belgica n’a plus que 19 hommes d’équipages !

 

Un homme à la mer.

Le destin frappe moins d’une semaine plus tard. Le jeune matelot Wiencke est emporté par une énorme vague au large de l’île de Low, lors d’une tempête violente. L’homme se noie, malgré la tentative héroïque de sauvetage du capitaine Lecointe .Le lendemain profondément marqués, les hommes du commandant Gerlache atteignent un archipel inconnu. La Belgica connaît ici ses premiers triomphes. Le nom de détroit de Gerlache qui est toujours repris sur les cartes – est une voie d’eau entres les terres – que les marins vont sillonner (le chenal) pendant trois mois. Des dizaines d’îles sont cartographiées, et lors des expéditions, des chaînes de montagnes et des baies ont généreusement reçu de nouveaux noms à la ronde : île Liège, île Anvers, île Brabant, baie des Flandres…Ils quittent le détroit et suivent la limite de la banquise vers le Sud, à la mi-février.

 

Cap plein Sud.

Postant souvent trois hommes de guet à la fois, la Belgica et son équipage louvoient entre les écueils et les icebergs, dans le brouillard et les tempêtes de neige. Ils essaient de s’enfoncer le plus possible dans la banquise et traversent le cercle polaire antarctique. Pour mettre leur matériel scientifique en sécurité, les scientifiques préféraient regagner la Terre de Feu. Mais l’appel de l’aventure ne peut résister aux marins. Ils en profitent pour avancer encore plus vers le Sud, quand une tempête ouvre une brèche dans la banquise.

 

Prison de glaces.

La température chute brusquement le 2 mars 1898. Le chenal se ferme. Les marins tentent de casser la glace pendant 2 semaines. En vain. Ils doivent se rendre à l’évidence : ils sont prisonniers des glaces, le 16 mars.
Ils se préparent pour l’hiver, ils devront hiverner. Un toit de bois est construit sur le pont pour les protéger de la neige. Le stock de charbon, permettra heureusement de se réchauffer autour du poêle. Même s’ils n’aiment pas trop les kjoedbollars* (" C’est de la viande de chat, os et poils compris, avec des algues ", prétendent les matelots) , ils ont assez de nourriture à bord.. Petit à petit la vie s’organise à bord et les observations des scientifiques, continuent. L’équipage se promène sur la banquise jusqu'à l’iceberg le plus proche, pour garder la forme. Les trois mousquetaires de Dumas ou le petit orgue de Barbarie Gaviola installé dans le carré des officiers détendent les hommes . Ce qui leur manque le plus ce sont leurs femmes. De ne pas les voir, ils sont submergés de tristesse.

*conserves norvégiennes de viande

 

Au rendez-vous la maladie et la mort.

La nuit polaire de septante jours commence le 17 mai 1898.Quand le scientifique belge Emile Danco tombe malade et décline à vue d’œil, le moral des hommes est atteint. Le 5 juin Danco meurt d’épuisement. Il reçoit une sépulture de marins : un trou dans la glace avec son corps cousu dans une voile. A moins de 37 degrés il gèle. Un mot d’adieu voudrait être dit par De Gerlache, mais sa voix se casse. Dans le silence les semaines suivantes se passent. Le prochain, qui est-ce ? De jour en jour l’état de santé de l’équipage se dégrade. Les premiers signes du scorbut apparaissent (à cause d’un manque de vitamine C qui provoque la maladie). La viande de manchot est mangée par les hommes . Il faut mastiquer un bon quart d’heure les morceaux de graisse coriace avant de pouvoir les avaler, cela les dégoûte et même certains refusent de les avaler.
Pour assister au retour du soleil, ils vont tous se poster sur un iceberg le 23 juillet quand la nuit polaire prend fin.

 

Délivrés !

Les choses vont un peu mieux. L’hiver est passé, du moins le plus gros. Mais le marin norvégien Tollefsen devient fou, au début du mois de novembre, il écrit dans des lettres à sa fiancée Agnès qu’il pense que les autres veulent l’empoissonner. Dans une fente d’un petit iceberg, il va les posters. Sans le moindre signe de dégel, l’été arrive. Ils craignent tous que la glace ne fonde pas et personne n’ose l’avouer. Ils pensent à un 2ème hivernage. " Comme j’aimerais avoir le mal de mer ! " écrit le commandant second Georges Lecointe découragé, dans son journal.
Vont-ils-s’en sortir ? Les hommes ne le croient pas. Cook supplie les hommes de ne pas se décourager, les premiers jours de 1899. Une brèche sera ouverte s’il le faut. Avec des grandes scies, ils vont creuser un chenal de 450 mètres de long pendant un mois et demi. Pour atteindre un petit lac gelé, ils traversent une étendue de glaces de plusieurs mètres d’épaisseur. Ils libèrent l’arrière du bateau à la dynamite. Régulièrement reprise dans les glaces, la Belgica bouge enfin. Le chenal doit être rouvert. La dernière barrière de glace est franchie avec toutes voiles dehors et le moteur poussé à fond, le 14 mars à 2 heures du matin. Libres sont enfin les marins de la Belgica ! Un régal pour les yeux durement éprouvés est le bleu des eaux de l'océan, après tant de mois dans le blanc.

 

 

Le retour à Punta Arenas.

Ils sont de retour à Punta Arenas le 28 mars 1899, 15 mois et demi après leur départ. Quand les mères ont vu débarquer cette bande de morts vivants, il n’est pas étonnant qu’elles aient vite fait rentrer leurs enfants. Ils ont réussi et sont heureux. La terrible violence naturelle du grand désert blanc, ils l’ont vaincue. Leur port d’attache est Anvers, ils peuvent enfin mettre le cap dessus.

 

Fontesse Emmanuelle

Collège Sainte-Gertrude de Nivelles,
Belgique.